VICKINGS
On n’a plus de cinoche, mais on a des séries.
Sans quitter son salon, face à l’écran, le corps immobile, le cerveau sur pause, on se transporte à New York ou Tombouctou, aux confins de l’univers ou dans la Rome antique. Avec elles, on va loin, plus loin qu’en avion, plus loin qu’en fusée, confortablement assis, sans polluer qui plus est — enfin, ça reste à voir.
Pour nous clouer dans le canapé comme des papillons sur une planche entomologique du Muséum d’histoire naturelle, les fabricants de séries suscitent en nous la joie, la tristesse, la peur, la colère, le dégoût, la surprise… Ils jouent de nos émotions en appuyant au bon moment sur les bonnes touches du clavier. Ils ne nous apprennent rien, ne nous éclairent pas, ils cherchent seulement à faire vibrer nos cordes sensibles.
Comment leur en vouloir ? S’ils nous réduisent aussi facilement à l’état d’instruments, c’est parce qu’ils ont notre accord. Nous adorons ça, être un piano ou un violoncelle. (Remarquez au passage combien les présentateurs de JT et leurs équipes de journalistes jouent les mêmes partitions, et avec un égal doigté, que les fabricants de séries : un coup je te fais peur, un coup je te fais rire, etc.)
Mais tout a une fin, y compris l’attrait hypnotique des séries. Hier soir, tandis que je bâillais devant la sixième saison de Vikings (Olaf et Ragnar sont dans un drakkar, Olaf tombe à l’eau…) j’ai pris conscience de ce fait : mes émotions s’émoussent. Les concertistes continuent à jouer de moi, toujours avec mon accord inconditionnel, mais je ne rends plus que des sons très faibles, si je puis dire.
Et le moment où j’éteindrai la télé n’est plus très loin. Cela n’est pas dû aux Vikings. Les séries TV en général me font moins d’effet. Bien entendu, leurs fabricants connaissent l’existence de ce phénomène d’usure, d’obsolescence prévisible du téléspectateur-instrument.
C’est pourquoi ils montent les doses d’année en année : plus de peur, plus de dégoût, plus de colère… Jusqu’à atteindre des outrances dont la laideur n’a d’égal que la bêtise.
Eteignez la télé ! On vous l’a déjà dit !...